Schopenhauer et son caniche
Le caniche de Schopenhauer, son compagnon inséparable, fut d’abord un bel épagneul blanc. Il mourut en 1849, et eut pour successeur un chien brun de même race, que Schopenhauer prit tout jeune et qu’il éleva. L’un et l’autre portait le même nom : ils s’appelaient Atma, c’est-à-dire en sanscrit, âme du monde. Il semblait que la même âme vivait en eux. Une des rares poésie de Schopenhauer est consacrée à l’éloge du chien : « Je ne m’étonne pas qu’on calomnie les chiens : — trop souvent hélas ! l’homme n’a qu’à rougir devant le chien. »
Au mois d'octobre 1850, il écrivait à son ami Julius Frauenstædt, après lui avoir fait part des nouvelles du monde philosophique « Ce qui est plus important, c'est que mon épagneul brun, qui a maintenant dix-sept mois, a pris tout à fait la taille de son prédécesseur, que vous avez connu ; c'est, avec cela, le chien le plus vif que j'aie jamais vu. »
Une anecdote en particulier, tout à fait plausible et datée de la fin des années trente, nous est transmise par le musicologue Schnyder von Wartensee (1786-1868) : « Un jour, un voyageur venu à notre table raconta une histoire arrivée récemment et tout à fait charmante à propos d'un tour réussi par un chien. Schopenhauer écouta le récit avec la plus grande attention et dit : « Oui, ce que vous nous racontez là est certainement vrai. J'y reconnais mes propres chiens. Ils sont supérieurs aux hommes. J’ai [...] un caniche, et quand il fait une bêtise, je lui dis : fi, tu n’es pas un chien, tu n’es qu'un homme. Oui, un homme ! Tu devrais avoir honte. Alors il est tout honteux et va se coucher dans un coin. » Tout le monde se tut, tandis que Schopenhauer souriait férocement. [...] Je lui dis alors à haute voix : « Herr Doktor, un homme qui appelle son chien ‘homme’ quand il veut l’injurier, un tel homme, ne devrait-on pas l’appeler ‘chien’ quand on veut lui faire honneur ? » [...] Schopenhauer dit alors : « Mais oui, je n'aurais rien contre. » (Petit recueil d’anecdotes sur Schopenhauer, édité par Arthur Hübscher, Francfort-sur-le-Main, 1981.)
Dans son testament, le philosophe fait de son chien l’un de ses héritiers. Mais il a aussi légué une partie de sa fortune à sa gouvernante qui recueillit l’animal et s’occupa de lui jusqu’à sa mort.
Ce geste de pitié envers son caniche ne doit pas être interprété comme le signe de sa misanthropie mais plutôt comme la preuve d’une véritable compassion à l’égard des animaux dont Schopenhauer n’a cessé de défendre dans des imprécations indignées. Dans les Parerga & Paralipomena il écrit que « le plus grand bienfait des chemins de fer est qu'ils épargnent à des millions de chevaux de trait une existence misérable.