Spéculation transcendante sur l’apparente préméditation qui règne dans la destinée de chacun
A. Schopenhauer | Extraits des « Parerga et Paralipomena »Bien que les idées présentées ici ne conduisent à aucun résultat ferme et ne soient peut-être qu’une simple fantaisie philosophique, je n’ai cependant pu me résoudre à les livrer à l’oubli. Plus d’une personne, en effet, les accueillera avec plaisir, au moins par comparaison avec ses propres idées sur le même sujet. Il convient toutefois de rappeler qu’en ces idées tout est douteux, non seulement la solution, mais même le problème. Il faut donc attendre ici non des données certaines, mais simplement quelques lueurs sur un fait très obscur, qui s’est peut-être imposé assez souvent à chacun dans le cours de sa propre exigence, ou en jetant un regard en arrière sur celle-ci. Nos considérations sur ce sujet peuvent même n’être rien de plus, ou peu s’en faut, qu’une marche à talons dans les ténèbres : cas où l’on remarque bien qu’il y a quelque chose, mais sans savoir au juste ni où ni quoi. Si néanmoins il m’arrive de prendre parfois un ton positif, ou même dogmatique, en répétant constamment les formules qui traduisent le doute et l'hypothèse, qu’il soit entendu une fois pour toutes que je le fais uniquement pour éviter la prolixité et la lourdeur. Ce ton ne doit donc pas être pris au sérieux.
La croyance en une Providence spéciale, ou, si l’on veut, en une direction surnaturelle des événements dans le cours de l’existence individuelle, a été de tout temps universellement admise, et même dans les cerveaux qui pensent et sont réfractaires à toute superstition, elle a parfois des assises inébranlables, indépendamment de tout rapport avec un dogme déterminé quelconque. Avant tout, on peut lui opposer que, à la façon de toute croyance religieuse, elle n’est pas sortie de la connaissance, mais de la volonté, et qu’elle est directement la fille de notre misérabilité. Car les faits fournis par la seule connaissance se ramèneraient peut-être à ceci, que le hasard, qui nous joue cent mauvais tours, comme voulus à dessein, se montre, par intervalles, favorable, ou bien arrange au mieux, indirectement, les choses à notre profit. Dans tous ces cas-là nous reconnaissons en lui la main de la Providence, et de la façon la plus claire quand, contrairement à notre propre manière de voir, il nous a conduit, par des voies abhorrées de nous, vers un but qui assure notre bonheur. Nous disons alors : Tune bene navigavi, cum naufragium fecit [C‘est alors que j’ai heureusement navigué, quand j'ai fait naufrage], et l'opposition entre le choix et la direction devient d’une évidence absolument tout à l’avantage de cette dernière. Pour cette raison même nous nous consolons, dans les mauvais cas, par le mot souvent vérifié : « Qui sait à quoi cela est bon ? ». Ce mot a sa source dans cette idée que, bien que le destin gouverne le monde, il a néanmoins l’erreur pour associée, et puisque nous sommes assujettis à celle-ci autant qu’a celui-là, que ce qui nous apparait actuellement comme un malheur est peut-être précisément un bonheur. Nous évitons alors les mauvais tours de l’un des tyrans du monde pour subir ceux de l’autre, et en appelons du destin à l’erreur.
Cela mis à part, c’est une idée d'une audace peu commune que d’attribuer un dessein au simple et pur hasard. Je n’en crois pas moins que chacun s’est attaché vivement à cette idée, au moins une fois en sa vie. On la trouve aussi chez tous les peuples et à côté de toutes les doctrines religieuses ; mais là où elle s’affirme le plus nettement, c’est chez les musulmans. C’est une idée qui, suivant la manière dont on la comprend, peut être la plus absurde ou la plus profonde. Quoi qu’il en soit, aux exemples qu’on pourrait alléguer à ce sujet, si frappants qu’ils puissent être parfois, il faut opposer cette objection que ce serait le plus grand des miracles, si le hasard ne réglait jamais bien nos affaires, et même mieux que notre intelligence et notre réflexion ne l’auraient fait.
Que tout ce qui arrive se produise, sans exception, en vertu d’une sévère nécessité, voilà une vérité a priori qui est irréfutable. Je la nommerai ici le fatalisme démontrable. Dans mon Mémoire couronné Sur la liberté de la volonté, elle s’affirme comme le résultat de toutes les recherches précédentes. Elle est confirmée empiriquement et a posteriori par le fait désormais hors de doute, que les somnambules magnétiques, les gens doués de seconde vue, et parfois même les rêves du sommeil ordinaire, annoncent nettement et exactement l’avenir [1]. C’est dans la seconde vue que cette confirmation empirique de ma théorie sur la sévère nécessité de tout ce qui arrive, est la plus frappante. Car ce qui a été souvent annoncé longtemps à l’avance, par cette seconde vue, se produit ensuite d’une façon très exacte et avec toutes les circonstances indiquées, même dans le cas où l’on se serait efforcé à dessein et de toute manière de l’empêcher, ou de faire différer l’événement, jusque dans un détail accessoire, de la vision communiquée. Cette tentative a toujours été vaine, car ce qui devait faire échouer la prédiction a toujours été précisément ce qui a servi à la réaliser. C’est ainsi que, dans les tragédies comme dans l’histoire des anciens, le malheur annoncé par les oracles ou par les songes est justement provoqué par les précautions prises contre lui. Je me contenterai de citer ici, parmi de si nombreux exemples, celui du roi Œdipe et la belle histoire de Crésus avec Adraste, dans Hérodote (livre Ier, chap. xxxv-xliii). Les cas de seconde vue répondant à ceux-ci se trouvent dans la troisième livraison du tome VIII des Archives du magnétisme animal, publiées par Kieser, et sont dus à Bendt Rendtsen [2] , cet homme si profondément honnête ; on en trouve un aussi dans la Théorie de la connaissance des esprits (§155), de Jung Stilling [3] . Si le don de seconde vue était aussi fréquent qu’il est rare, d'innombrables événements annoncés à l’avance se réaliseraient à la lettre, et l'indéniable preuve de la sévère nécessité de tout ce qui arrive, accessible à chacun, deviendrait universelle. Alors on ne pourrait plus douter que, en dépit de l’apparence purement fatale du cours des choses, il n’en est pas ainsi au fond, et l’on serait plutôt d’avis que tous ces hasards eux-mêmes, sont impliqués par une mystérieuse nécessité, dont l’unique instrument est le hasard lui-même. Jeter un regard sur celle-là, tel a toujours été l’effort de la mancie [4] . Or, il résulte de celle-ci non seulement que tous les événements se produisent avec une absolue nécessité, mais aussi qu’ils sont déjà déterminés à l’avance et fixés objectivement d’une manière quelconque, en s’offrant à l’œil du voyant comme choses présentes. Cependant ces événements pourraient se laisser ramener au besoin, par suite du décours de la chaîne causale, à la simple nécessité de leur production.
En tout cas l’intuition, ou plutôt l’idée que cette nécessité de tout ce qui arrive n’est nullement aveugle, par conséquent la croyance à une marche aussi réglée que nécessaire des événements de notre vie, est un fatalisme supérieur qui ne se laisse pas démontrer comme le fatalisme simple; mais chacun peut-être le subit une fois à un certain moment, et l’admet pour un temps ou pour toujours, suivant la mesure de sa pensée. Nous pouvons nommer ce fatalisme, par opposition au fatalisme ordinaire et démontrable, le fatalisme transcendant. Il ne dérive pas, comme celui-là, d’une connaissance théorique proprement dite ni de la recherche nécessaire pour celle-ci, dont bien peu de gens seraient capables; il se détache insensiblement des expériences personnelles de la vie. Parmi ces dernières, chacun remarque certains faits qui portent nettement en eux, d’une part, grâce à leur spéciale et grande utilité, le cachet d’une nécessité morale ou intérieure, et, d’autre part, celui de l’accidence extérieure complète. Leur fréquente répétition conduit peu à peu à l’idée, qui devient souvent une conviction, que la course vitale de l’individu, si confuse qu’elle puisse paraître, est un tout concordant, qui a une tendance déterminée et un sens instructif, aussi bien que l’épopée la plus profondément méditée [5] . Mais l’enseignement ainsi départi s’applique seulement à sa volonté individuelle, qui est, en dernière analyse, son erreur individuelle. Car ce n’est pas l’histoire universelle, comme se l’imagine à tort la philosophie universitaire, qui introduit un plan et un ensemble dans la vie de l’individu. Les peuples n’existent qu’in abstracto : les individus sont le réel. Aussi l'histoire universelle est-elle sans signification métaphysique immédiate ; elle n’est qu'une configuration accidentelle. Je renvoie à ce que j'ai dit à ce sujet dans le Monde connue volonté et comme représentation.
Ainsi, la réflexion sur la destinée individuelle fait naître chez beaucoup de gens ce fatalisme transcendant que chacun peut-être professe une fois, en contemplant attentivement sa propre vie, après que l’écheveau s’en est déroulé jusqu’à une respectable longueur. Ce fatalisme n’est pas seulement très consolant, il est peut-être aussi très vrai; voilà pourquoi on l’a affirmé de tout temps; et même à l’état de dogme [6]. Le témoignage d’un homme du monde et d’un courtisan éprouvé, Knebel [7] , qui le porta alors qu’il avait atteint l’âge de Nestor (il était nonagénaire), mérite d’être cité ici pour sa complète impartialité. Il dit dans une lettre : « En observant attentivement, on trouvera que dans la vie de la plupart des hommes il y a un certain plan qui leur est en quelque sorte assigné par leur propre nature ou par les circonstances qui les mènent. Si changeants et diversifiés que puissent être les événements de leur vie, on finit pourtant par apercevoir un tout qui permet de remarquer en lui un certain accord... On voit distinctement aussi la main d’une destinée déterminée, si cachée que soit son action, et qu’elle soit mise en mouvement par un effet extérieur ou par une impulsion intérieure; car des mobiles contradictoires se manifestent assez souvent dans sa tendance. Si confuse que soit la course, on y aperçoit toujours de la raison et une direction. » (Œuvres posthumes, 2e édition, 1840, t. III, p. 452.)
Ce plan méthodique de la course vitale d’un chacun s’explique en partie par la constance et l'inflexible logique du caractère-né, qui ramènent toujours l’homme dans la même ornière. Ce qui est le plus conforme à ce caractère d’un chacun, il le reconnaît directement et sûrement, de sorte que, en règle générale, il ne l’accueille pas dans la conscience claire et réfléchie, mais il agit en conséquence, directement et comme par instinct. Ce mode de connaissance, passant ainsi à l’action sans être parvenu à la claire conscience, est comparable aux reflex motions de Marshall Hall [8] . Grâce à lui, tous ceux qui ne subissent aucune contrainte soit du dehors, soit par suite de leurs fausses idées et de leurs préjugés, comprennent et poursuivent leur intérêt individuel, même sans pouvoir s’en rendre compte ; c’est ainsi que la tortue, couvée dans le sable par le soleil et sortie péniblement de son œuf, se dirige aussitôt droit vers l’eau, qu’elle ne peut apercevoir. Ceci donc est le compas intérieur, le trait secret qui mènent chacun sur la vraie et seule voie qui lui est appropriée, mais dont il n’aperçoit la direction symétrique que lorsqu’il l’a laissée derrière lui.
Cependant, en face de la puissante influence et de la violence des circonstances extérieures, ceci ne semble pas suffisant ; et il n’est pas très croyable que ce qu’il y a de plus important au monde, —la vie humaine achetée au prix de tant de travail, de maux et de souffrances, — doive recevoir seulement la moitié de sa direction, — la partie qui vient du dehors, — uniquement de la main d’un hasard vraiment aveugle, qui n’est rien en lui-même et est dépourvu de tout arrangement. Il y a certaines images, nommées anamorphoses (voir les travaux de Pouillet [9] ), qui ne montrent à l'œil nu que des difformités grimaçantes et mutilées, tandis que, vues dans un miroir plan, elles présentent des figures humaines régulières. La conception purement empirique du train du monde ressemble à cette vue de l’image à l’œil nu, tandis que la recherche des desseins du hasard ressemble à celle présentée par le miroir plan, qui unit et arrange le pêle-mêle précédent. Néanmoins, on peut toujours opposer à cette opinion celle en vertu de laquelle l’accord méthodique que nous croyons apercevoir dans les événements de notre vie n'est qu’un effet inconscient de notre imagination ordonnante et schématisante; il est analogue à celui en vertu duquel nous voyons en traits nets et beaux, sur un mur sali, des figures et des groupes humains, en introduisant un accord méthodique dans la tache que le plus aveugle des hasards a produite. Il faut donc présumer que ce qui est pour nous, au sens le plus élevé et le plus vrai du mot, bon et avantageux, ne peut être ce qui est simplement projeté et jamais exécuté, ce qui, par conséquent, n’a jamais reçu d’autre existence que dans notre idée, les vani disegni che non han’mai loco [Vains desseins qui ne se réalisent jamais] de l’Arioste, et dont nous regretterions ensuite toute notre vie l’anéantissement par le hasard. Ce qui est pour nous bon et avantageux, c’est plutôt ce qui est empreint effectivement sur le grand tableau de la réalité et dont nous disons avec conviction, après que nous en avons reconnu l’opportunité : sic erat in falis (cela devait arriver). Une unité du contingent et du nécessaire, résidant au plus profond des choses, devrait donc veiller de n’importe quelle façon à la réalisation de l’opportun en ce sens. Grâce à elle, la nécessité intérieure se présentant comme impulsion instinctive, la réflexion raisonnable ; et enfin l’action extérieure des circonstances devraient, dans la vie humaine, collaborer réciproquement, de manière à la faire apparaître, une fois arrivée à son terme, comme une œuvre d’art bien établie et achevée ; et cela, quoique cette vie, quand elle était encore à l'état du devenir, ne laissât souvent reconnaître, comme toute œuvre d’art seulement projetée, ni plan ni but. Mais en l'examinant de près à la suite de son achèvement, on resterait émerveillé devant cette vie, comme devant l'œuvre de la prévision, de la sagesse et de la persistance les plus réfléchies. Son importance totale dépendrait toutefois de la nature ordinaire ou extraordinaire du sujet. De ce point de vue on pourrait admettre l'idée très transcendante qu’à la base de ce mundus phœnomenon [monde du phénomène], dans lequel règne le hasard, se trouve partout un mundus intelligibilis [monde intelligible] qui domine le hasard lui-même. Sans doute, la nature fait tout pour l'espèce, et rien pour l'individu, parce que celle-là est tout pour elle, et celui-ci rien. Mais ce que nous supposons agir ici ne serait pas la nature, ce serait le côté métaphysique situé au delà de la nature, qui existe entier et indivisible en chaque individu, et auquel, par conséquent, s’applique tout ceci.
Sans doute on devrait, pour tirer ces choses au clair, répondre auparavant à ces questions : Un malentendu complet entre le caractère et la destinée d'un homme est-il possible? —Ou chaque destinée, envisagée sous son point essentiel, s’accorde-t-elle avec chaque caractère? — Ou enfin une nécessité secrète incompréhensible, comparable à l’auteur d'un drame, adapte-t-elle véritablement chaque fois l'un à l'autre ? — Mais c’est précisément ce que nous ne savons pas.
Quoi qu’il en soit, nous croyons être à tout moment maîtres de nos actions. Cependant, si nous jetons un coup d'œil rétrospectif sur notre vie et envisageons surtout nos actes malheureux, avec leurs conséquences, nous ne comprenons souvent pas comment nous avons pu faire ceci ou ne pas faire cela ; de sorte qu’il semble qu’une force étrangère a conduit nos pas. Aussi Shakespeare a-t-il dit :
Fate, show thy force ; ourselves we do not owe ;
What is decreed must be, and be this so!
[Destin, montre ta force: nous ne le devons pas à nous-mêmes;
Ce qui est décrété doit être, et qu’il en soit ainsi !]
Les anciens ne se lassent pas de proclamer en vers et en prose la toute-puissance du destin, en montrant l’impuissance de l’homme contre lui. On constate partout que c’est là une conviction dont ils sont pénétrés, en pressentant un mystérieux enchaînement des choses plus profond que l’enchaînement clairement empirique. De là les nombreuses dénominations de cette idée en grec : πότμος, αῖσα, εἰμαρμενη, πεπρωμένη, μσῖρα, Αδράστεια, et peut-être d’autres encore. Le mot πρόνοια [prévision], au contraire, dérange l’idée de la chose, car il vient de νοὖς [esprit] : ce qui le rend clair et compréhensible, mais en même temps superficiel et faux. Gœthe dit aussi, dans Gœtz de Berlichingen (acte V) : « Nous autres hommes, nous ne nous conduisons pas nous-mêmes; de mauvais esprits possèdent une force en vertu de laquelle ils s’acharnent à notre perte. » Il dit de même dans Egmont (acte V, dernière scène) : « L’homme s’imagine diriger sa vie, se conduire lui-même, tandis que son fond le plus intime est entraîné irrésistiblement vers sa destinée. » Oui, le prophète Jérémie l’a déjà dit : « La voie de l’homme ne dépend point de l’homme, et personne ne peut marcher ni conduire ses pas comme il veut » (Chap. X, § 23). A rapprocher de ces assertions les récits d’Hérodote (livres I, chap. XCI, et IX, chap. XVI) et les XXIXe et XXXe Dialogues des morts de Lucien.
Tout cela provient de ce que nos actions sont le produit nécessaire de deux facteurs dont l’un, notre caractère, reste immuable, mais ne nous est connu qu’a posteriori, c’est-à-dire peu à peu ; l'autre, ce sont les motifs. Ceux-ci résident à l’extérieur, sont amenés nécessairement par le cours des choses et déterminent le caractère donné, à condition que sa nature reste la même, avec une nécessité semblable à celle d’un mécanisme. Or, le « moi » jugeant le susdit cours des choses est le sujet de la connaissance, étranger, comme tel, au caractère et aux motifs, et simple spectateur critique de leur action. Aussi est-il de temps en temps en droit de s’étonner.
Quand une fois l’on a saisi le point de vue de ce fatalisme transcendant et que de ce point de vue l’on examine une vie individuelle, on a souvent devant les yeux le plus curieux de tous les spectacles. Il consiste dans le contraste entre l’accidence manifeste et physique d’un événement et de sa nécessité morale métaphysique, qui d’ailleurs n’est jamais démontrable et ne peut, en réalité, qu’être imaginée. Pour saisir ceci par un exemple universellement connu, qui est en même temps propre, par sa netteté, à servir de type, qu’on se reporte à la pièce de Schiller : La course vers la forge. Le retard de Fridolin y est amené tout à fait par hasard, parce qu’il s’est arrêté pour servir la messe, et ce retard est pour lui, d’autre part, absolument nécessaire et sauveur [10]. Peut-être chacun trouvera-t-il dans sa propre vie, en y réfléchissant bien, des cas analogues, quoique d’importance moindre et moins caractéristiques. Cela poussera beaucoup de gens à admettre qu’une force secrète et inexplicable dirige tous les événements de notre vie, très souvent, il est vrai, contre notre intention du moment, mais cependant en accord avec l’ensemble objectif et l’opportunité objective de celle-là; elle est, par conséquent, appropriée à nos véritables intérêts, et nous reconnaissons trop souvent après coup la folie des vœux en sens contraire. Ducunt volentem fata, nolentem trahunt [Le destin conduit l’homme docile, entraîne le rebelle], a dit Sénèque (Lettre CVII à Lucilius). Une pareille force, entraînant chaque chose par un fil invisible, devrait unir aussi de telle façon celles que la chaîne causale laisse sans lien avec les autres, qu’elles se rassembleraient au moment voulu. Elle dominerait donc les événements de la vie réelle aussi complètement que le poète ceux de son drame. Mais hasard et erreur, qui viennent troubler avant tout et directement le cours causal régulier des choses, seraient les simples instruments de leur main invisible.
Plus que tout cela, une considération nous pousse à admettre l’hypothèse hardie d’une pareille force insondable, résultant de l’unité de la profonde racine de la nécessité et de l'incidence : c’est que l’individualité déterminée et particulière de chaque être humain, sous le rapport physique, moral et intellectuel, qui est tout pour lui et doit en conséquence provenir de la plus haute nécessité métaphysique, s’affirme d’autre part (ainsi que je l’ai démontré dans mon ouvrage principal), comme le résultat nécessaire du caractère moral du père, de la capacité intellectuelle de la mère et de la corporation totale de tous deux [11]. Or, l’union des parents, en règle générale, est amenée par des circonstances fortuites en apparence. Ici donc s’impose irrésistiblement à nous l’exigence ou le postulat métaphysico-moral d’une dernière unité de la nécessité et de l’incidence. Quant à obtenir une idée claire de cette racine unitaire de l’une et de l’autre, je tiens la chose pour impossible. Tout ce qu’on peut dire à ce sujet, c’est qu’elle serait à la fois ce que les anciens nommaient destin, fatum, ce qu’ils entendaient par le génie dirigeant de chaque individu, et aussi ce que les chrétiens révèrent comme Providence. Ces trois choses diffèrent, il est vrai, l’une de l’autre, en ce que le fatum est regardé comme aveugle, et les deux autres comme doués de la vue ; mais cette différence anthropomorphique disparait et perd toute importance dans l’essence profonde et métaphysique des choses, où nous avons à chercher seulement la racine de cette unité inexplicable de l’incident avec le nécessaire, qui apparaît comme la dirigeante secrète de toutes les choses humaines.
L’idée du genius attaché à chaque individu et présidant au cours de sa vie, est probablement d’origine étrusque ; mais elle était universellement répandue chez les anciens. Ce qu’elle a d’essentiel se trouve dans des vers de Ménandre qui nous ont été conservés par Plutarque (De la tranquillité d’âme, chap. XV; voir aussi Stobée, Ecloguæ, livre I, chap. VI, § 4, et Clément d’Alexandrie, Stromates. livre V, chap. XIV) :
« Dès qu’un homme voit la lumière du jour, il a pour compagnon un génie, qui devient le mystagogue de sa vie, un bon génie »
Platon, à la fin de sa République (livre X), décrit comment chaque âme, avant sa renaissance, choisit un sort vital, avec la personnalité qui lui convient, et il dit ensuite : « Après que toutes les âmes eurent choisi leur genre de vie, selon le rang marqué par le sort, elles s’approchèrent dans le même ordre de Lachésis, et celle-ci donna à chacune le génie qu’elle avait préféré, afin qu’il lui servit de gardien durant sa vie et l’aidât à remplir sa destinée. » Porphyre s’est livré sur cet endroit à un très intéressant commentaire que nous a conservé Stobée (Eclogæ, livre II, chap. VIII, § 37). Mais Platon avait dit un peu plus haut, par rapport à ceci : (le sort que détermine seulement l’ordre du choix) « un génie ne choisira point les âmes, mais les âmes choisiront un génie. La première que le sort désignera choisira une nouvelle vie, et son choix sera irrévocable. »
Horace exprime la chose en beaux vers :
Seit Genius, natale comes qui temperat astrum,
Naturae deus humanae, mortalis in unum
Quodque caput, vultu mutabilis, albus et ater
[Il le sait, le génie attaché à nous qui règle notre astre natal, ce dieu de la nature humaine, qui change de visage, à la fois blanc et noir, et disparait avec chaque individu]
Un passage très curieux sur ce genius se trouve dans Apulée, Du dieu de Sacrate (édit. de Deux-Ponts, pp. 236, 238). Il y a dans Jamblique [12], De mysteriis Egyptorium, section IX, chap. VI : De proprio daemone, un chapitre court, mais important2. Toutefois, les lignes de Proclus, dans son commentaire sur l’Alcibiade de Platon (édit. F. Creuzer, 1820, t. I, p. 77), sont plus curieuses encore : « Car celui qui dirige notre vie entière, réalise les décisions de nos choix acquises avant notre naissance, répartit les dons du destin et des dieux nés du destin, qui offre et mesure aussi la lumière du soleil de la Providence, celui-là est le génie. » Théophraste Paracelse a très profondément compris cette idée, quand il dit : « Pour que le fatum soit bien reconnu, chaque homme a un esprit qui habite hors de lui et place son siège dans les étoiles supérieures. Il se sert des bosses [13] de son maître ; il lui présente les présages avant sa naissance et après sa mort; car il demeure après lui. Ces esprits se nomment fatum. » (Œuvres de Théophraste, Strasbourg, 1603, in-folio, t. II, p. 36). Il est remarquable que celte idée se trouve déjà chez Plutarque. Il dit en effet que, outre la partie de l’âme versée dans le corps terrestre, une autre partie, plus noble, reste au dehors et plane sur la tête; elle a la forme d’une étoile, et c’est à bon droit qu’on l’appelle son démon, génie, qui dirige le corps et auquel les sages obéissent volontairement. Le passage est trop long pour être cité tout entier ; il se trouve dans le Démon de Socrate, chap. XXII. Voici la phrase principale :
« Ce qui est plongé dans le corps s'appelle âme; mais la partie inaccessible à la corruption est nommée intelligence par la foule, qui s’imagine que cette faculté est en nous. Quant à ceux qui jugent sagement, ils sentent qu’elle est hors de nous, et ils l’appellent Démon. »
Je remarque en passant que le christianisme, qui transformait volontiers, on le sait, les dieux et les démons des païens en diables, paraît avoir fait de ce génie des anciens le spiritus familiaris des savants et des magiciens. L’idée chrétienne de la Providence est trop connue, pour qu’il soit nécessaire d’insister sur ce point. Ce ne sont d’ailleurs que des conceptions figurées et allégoriques de ce qui nous occupe. Il ne nous est pas permis, en effet, de saisir les vérités les plus profondes et les plus mystérieuses autrement qu’en images et en allégories.
A la vérité, cependant, cette force cachée et dirigeant même les influences extérieures, peut n’avoir en définitive sa racine que dans notre propre et mystérieux intérieur; car l’alpha et l’oméga de toute existence réside finalement en nous-mêmes. Mais la simple possibilité de la chose, au cas le plus heureux, nous ne la concevrons, elle aussi, qu’au moyen d’analogies et d’allégories, dans une certaine mesure et de très loin.
L'analogie la plus proche avec l’action de cette force nous est offerte par la téléologie de la nature, qui présente l’utile sans intervention de la connaissance du but, surtout là où apparaît l’utilité extérieure, c’est-à-dire celle qui existe entre les êtres différents et même disparates, et jusque dans l’inorganique. Nous avons un exemple frappant de ce genre dans le bois flotté, qui précisément est abondamment amené de la mer aux terres dépourvues d’arbres. Un autre exemple est le continent de notre planète, lequel est complètement poussé dans la direction du pôle nord, dont l’hiver, pour des raisons astronomiques, est de huit jours plus court, et, pour cette raison, beaucoup plus doux que celui du pôle sud. Cependant l’utilité intérieure qui se manifeste incontestablement dans l’organisme complet, l’étonnant accord de la technique de la nature avec son simple mécanisme, ou celui du nexus finalis avec le nexus effectivus, nous fait voir aussi, d’une façon analogue, comment ce qui provient de points différents et même très éloignés, paraissant étrangers les uns aux autres, conspire cependant au but final et y aboutit nettement, sans être dirigé par la connaissance, mais en vertu d'une nécessité supérieure qui précède toute possibilité de connaissance.
De plus, si l’on a présente à l’esprit la théorie de la naissance de notre système planétaire établie par Kant et plus tard par Laplace, théorie dont la vraisemblance est très proche de la certitude, et si l’on se livre à des considérations comme celles qu’on trouve dans mon œuvre principale; si l’on réfléchit, en un mot, comment du jeu de forces naturelles aveugles, obéissant à leurs lois inflexibles, devait finalement surgir ce merveilleux monde planétaire si bien ordonné, on a ici aussi une analogie qui peut servir, en général et de loin, à admettre la possibilité que même la course vitale individuelle soit dirigée par les événements qui sont souvent le jeu si capricieux de l’aveugle hasard, mais obéissent en quelque sorte à un plan méthodique, conformément au plus grand avantage de la personne. Ceci admis, le dogme de la Providence pourrait, au point de vue anthropomorphique, être accepté comme vrai, mais non directement et sensu proprio ; il serait simplement l’expression indirecte, allégorique et mythique d’une vérité, et suffirait donc pleinement, comme tous les mythes religieux, à l’assistance pratique et à l’apaisement subjectif, dans le sens, par exemple, de la théologie morale de Kant, qu’il faut comprendre, elle aussi, comme un simple schéma d’orientation, c’est-à-dire allégoriquement. En un mot, la chose ne serait pas vraie, mais tout aussi bonne que vraie.
Remarquons que, dans ces sombres et aveugles forces primordiales de la nature, du jeu alterné desquelles émane le système planétaire, la volonté de vivre, qui apparaît ensuite dans les phénomènes les plus achevés du monde, est déjà ce qui agit à l’intérieur et le dirige ; travaillant déjà à ses fins, en vertu des sévères lois de la nature, elle prépare là les fondements solides du monde et de son ordre : c’est ainsi que la chose ou l’élan le plus fortuit a déterminé pour toujours l'obliquité de l'elliptique et la rapidité de la rotation, et que, le résultat final doit être la représentation de son essence entière, parce que celle-ci est déjà active dans ces forces primordiales mêmes. De façon analogue, tous les événements déterminant les actions d’un homme, avec l’enchaînement causal qui les amène, ne sont aussi que l’objectivation de cette volonté qui se représente aussi dans cet homme. D’où l’on voit, néanmoins comme dans le brouillard, qu’ils doivent même concorder et convenir aux fins les plus spéciales de cet homme, formant alors, en ce sens, cette force mystérieuse qui dirige la destinée de l’individu, et qui est allégorisée comme étant son génie et sa providence. Mais, au point de vue purement objectif, cela reste l’enchainement causal ordinaire, universel, sans exception, en vertu duquel tout ce qui arrive se produit d’une façon absolument nécessaire, qui remplace l’ordonnance du monde purement mythique, et est même en droit d’en prendre le nom.
La considération générale suivante peut nous le faire mieux comprendre. « Par hasard » signifie la rencontre, dans le temps, de ce qui n’est pas lié causalement. Mais il n’y a rien d’absolument accidentel. Le fait même le plus accidentel n’est qu’un fait nécessaire venu par une voie éloignée. Les premières causes inflexibles, placées tout au commencement de la chaîne causale, ont déjà depuis longtemps décidé, au contraire, en toute nécessité, que le fait devait se produire juste maintenant, et par conséquent en même temps que l’autre. Chaque événement, en effet, est le membre isolé d’une chaîne de causes et d’effets qui se prolonge dans la direction du temps. Or, grâce à l’espace, il y a une infinité de ces chaînes, les unes à côté des autres. Cependant, loin d’être complètement étrangères entre elles et sans lien réciproque, elles sont plutôt entrelacées de plusieurs façons. Ainsi, plusieurs causes primordiales qui agissent maintenant en même temps, et dont chacune produit un autre effet, dérivent d’une cause primordiale commune, et sont en conséquence aussi apparentées entre elles que le sont les arrière petits-fils d’un aïeul ; et, d’autre part, il faut souvent un seul effet actuel de la rencontre de beaucoup de causes différentes sortant du passé, chacune en qualité de membre de sa propre chaîne. Toutes ces chaînes causales s’avançant dans la direction du temps forment donc un grand réseau commun entrelacé en tous sens, qui se meut également, de toute sa largeur, dans la direction du temps et constitue le cours du monde. Si maintenant nous nous représentons ces chaînes causales isolées par des méridiens qui seraient situés dans la direction du temps, ce qui est simultané, et, pour cette raison, ne se trouve pas en rapport causal direct, peut être partout indiqué par des cercles parallèles. Or, quoique ce qui est placé sous le même cercle parallèle ne dépende pas directement du reste, cela se trouve néanmoins, par suite de l’entrelacement du réseau entier ou de la totalité de toutes les causes et de tous les effets s’avançant dans la direction du temps, en un rapport indirect quelconque, bien qu’éloigné. La simultanéité actuelle est conséquemment nécessaire. C’est sur elle que repose la rencontre accidentelle de toutes les conditions d’un événement nécessaire au sens élevé, l’accomplissement de ce que le destin a voulu.
C’est la raison pour laquelle, par exemple, à la suite de la migration des peuples, quand le flot de la barbarie se répandit sur l’Europe, les plus beaux chefs-d’œuvre de la sculpture grecque, le « Laocoon », l’ « Apollon du Vatican », etc., disparurent comme par un coup de théâtre dans le sein de la terre ; ils y attendirent pendant mille ans, intacts, une époque plus douce et plus noble, comprenant les arts et les appréciant, — la fin du XVe siècle, sous le pontifical de Jules II, — et reparurent alors à la lumière comme les modèles bien conservés du beau et du véritable type de la ligure humaine. C’est également la raison pour laquelle se produisent au vrai moment les occasions et les circonstances importantes et décisives dans la vie de l’individu, et finalement aussi les présages, en lesquels la croyance est si générale et si indéracinable, qu’il n’est pas rare de la voir trouver place même dans les têtes les plus supérieures. Car rien n’est absolument accidentel, mais tout se produit plutôt nécessairement, et la simultanéité même de ce qui n’est pas lié causalement — le hasard — est nécessaire, puisque ce qui est maintenant simultané a déjà été déterminé comme tel par des causes dans le passé le plus reculé. Tout se reflète en tout, chaque chose a son écho en chaque chose, et l’axiome bien connu d’Hippocrate, relatif à l’action commune dans l’organisme, est également applicable à la totalité des choses : « Un seul courant d’ensemble, un seul accord de volontés, conformité d'humeurs en tout. » (De alimento, édit. Kühn, t. II, p. 20).
Le penchant inextirpable de l’homme à tenir compte des présages, ses extispicia et « inspections des oiseaux », ses consultations à l’aide de la Bible, des cartes, du plomb fondu, du marc de café, etc., témoignent qu’il regarde comme possible, en dépit de toute raison, de reconnaître par le présent et par ce qui se trouve nettement sous les yeux ce qui est caché par l’espace ou par le temps, c’est-à-dire ce qui est éloigné ou futur; de sorte qu’il pourrait déchiffrer celui-ci d'après celui-là, s’il possédait la véritable clef de cette écriture secrète.
Une seconde analogie qui peut, d’un côté tout différent, contribuer à la compréhension indirecte du fatalisme transcendant, est fournie parle rêve, avec lequel d’ailleurs la vie a une ressemblance depuis très longtemps reconnue et souvent exprimée. L’idéalisme transcendantal de Kant peut même être envisagé comme l’exposition la plus claire de ce caractère de rêve de notre existence consciente, ainsi que je l’ai démontré dans ma critique de sa philosophie. Et cette analogie avec le rêve nous fait voir, quoique seulement encore dans un lointain nébuleux, comment la puissance secrète qui règle et dirige les événements extérieurs nous concernant, en vue de leurs fins par rapport à nous, pourrait avoir néanmoins sa racine dans la profondeur de notre propre essence insondable. Dans le rêve aussi, les circonstances qui y deviennent les motifs de nos actions, extérieures et indépendantes de nous-mêmes, et souvent même exécrées, se rencontrent par le pur effet du hasard. Il y a cependant entre elles un lien secret et méthodique, car une puissance occulte, à laquelle tous les hasards obéissent dans le rêve, dirige et adapte aussi ces circonstances, et uniquement par rapport à nous. Mais le plus étrange, c’est que cette puissance ne peut finalement être que notre propre volonté, à un point de vue, toutefois, qui ne tombe pas dans notre conscience rêvante. De là il advient que les événements du rêve s’y déroulent si fréquemment contre nos désirs, nous jettent dans l’étonnement, dans les ennuis, voire même dans l’épouvante et dans l'angoisse mortelle, sans que la destinée, que pourtant nous dirigeons nous mêmes secrètement, intervienne pour notre salut. De même quand, posant anxieusement une question, nous recevons une réponse dont nous nous étonnons ; ou, encore, quand, interrogés nous-mêmes, comme, par exemple, dans un examen, nous sommes incapables de trouver la réponse qu'un autre, à notre honte, donne excellemment ; et pourtant, dans un cas comme dans l’autre, la réponse ne peut provenir que de nous.
Pour rendre encore plus claire et faire mieux comprendre cette mystérieuse direction, venue de nous-mêmes, des événements dans le rêve, il y a encore une explication qui seule s’y prête. Mais elle est inévitablement de nature obscène, et je présuppose que les lecteurs dignes de m’entendre n’en seront pas choqués et ne prendront pas la chose du côté ridicule. Il y a des rêves, on le sait, dont la nature se sert dans un but matériel : le dégorgement des vésicules séminales trop garnies. Des rêves de ce genre renferment naturellement des scènes lubriques; mais il en est de même de temps en temps d’autres rêves, qui n’ont nullement ce but, et ne l’atteignent pas. La différence entre ces deux genres de rêves est que, dans les premiers, les belles et l’occasion se montrent bientôt favorables à nous, et la nature atteint ainsi son but. Dans les seconds, au contraire, la chose que nous désirons le plus ardemment rencontre toujours de nouveaux obstacles dont nous nous efforçons en vain de triompher, de sorte que, finalement, nous ne parvenons pas au but. Ce qui crée ces obstacles et fait avorter coup sur coup notre ardent désir, ce n’est que notre propre volonté, mais venue d’une région située bien au delà de la conscience représentée dans le rêve, et apparaissant en conséquence dans celui-ci comme destin inexorable.
N’y aurait-il pas maintenant avec la destinée dans la réalité et avec la méthode que chacun peut-être y remarque dans sa propre existence, un état qui serait analogue à celui que nous venons d’exposer pour le rêve? Il arrive parfois que nous avons conçu vivement un projet qui se révèle, plus tard, comme n’étant pas conforme à notre véritable bien. En attendant, nous le caressons ardemment, jusqu’à constatation à son égard d’une conjuration du destin, qui met en mouvement toute sa machinerie pour le faire échouer, finissant par nous ramener ainsi de force, contre notre volonté, dans la voie qui nous convient véritablement. Devant une telle résistance qui semble voulue, beaucoup de gens disent : « Je remarque que cela ne doit pas être. » D’autres y voient un présage, d’autres encore le doigt de Dieu. Mais tous partagent l’idée que lorsque le destin s’oppose à un projet avec une si évidente opiniâtreté, nous devons y renoncer. En effet, ne convenant pas à notre détermination, dont nous sommes inconscients, il ne pourrait être réalisé, et, en le poursuivant opiniâtrement, nous ne ferions que nous attirer des coups plus durs de la destinée, jusqu’à ce que nous ayons fini par retrouver le droit chemin ; ou encore, s’il nous arrivait de forcer la chose, celle-ci ne nous apporterait que maux et dommages. La phrase citée plus haut : Ducunt volentem fata, nolentem trahunt [Le destin conduit l’homme docile, entraîne le rebelle], trouve ici sa pleine confirmation. Dans maints cas il apparaît véritablement, après coup que l’échec de tel projet a été absolument favorable à notre bien réel ; cela pourrait donc être aussi le cas lorsque nous n'en savons rien, — surtout quand nous considérons comme notre vrai bien le bien métaphysico-moral.
Revenons maintenant à la notion capitale de toute ma philosophie, à savoir que ce qui représente et maintient le phénomène du monde, c’est la volonté, qui vit et aspire aussi dans chaque individu, et rappelons-nous en même temps la ressemblance si généralement reconnue de la vie avec le rêve. Alors nous pouvons, en résumant tout ce qui vient d’être dit, admettre d’une façon très générale que, de même que chacun est le directeur de théâtre secret de ses rêves, cette destinée qui règle notre véritable existence émane finalement, n’importe comment, de cette volonté qui est la nôtre, mais qui cependant, apparaissant comme destinée, opérerait d’une région située bien au delà de notre conscience individuelle représentante; tandis qu'au contraire celle-ci livre les motifs dirigeants de notre volonté individuelle empiriquement reconnaissable, qui, en conséquence, doit souvent lutter de la manière la plus violente avec notre volonté se représentant comme destinée, avec notre génie dirigeant, avec notre esprit, « qui habite hors de nous et place son siège dans les étoiles supérieures [14] ». Car cet esprit voit plus loin que la conscience individuelle, et, inexorable envers elle, il apprête et détermine comme contrainte extérieure ce dont il ne pourrait lui remettre la charge, et qu'il ne veut cependant pas voir périr.
La hardiesse étonnante et même exorbitante de cette idée peut être atténuée en premier lieu par un passage de Scot Erigène, à propos duquel il faut rappeler que son Dieu, qui est dépourvu de connaissance et dont on ne peut affirmer le temps ni l’espace, avec les catégories aristotéliciennes, et auquel ne reste en réalité qu’un seul attribut, la volonté, n’est manifestement rien d’autre que ce qu’est chez moi la volonté de vivre. Voici le passage :
Est etiam alia species ignorantiæ in Deo, quando ea, quæ prœscivit et prædestinavit, ignorare dicitur, dum adhuc in rerum factorum cursibus experimento non apparuerint. (De divisionc naturæ, édit. d’Oxford, p. 83).
[Il existe une autre sorte d’ignorance de Dieu, dans la mesure où l’on dit qu’il ne sait pas ce qu’il a préconçu et prédéterminé, aussi longtemps que cela ne s’est pas montré au cours des choses effectivement dans l’expérience]
Et bientôt après : Tertia species divinæ ignorantiæ est, per quam Deus dicitur ignorare ea, quæ nondum experimento actionis et operationis in effectibus manifeste apparent; quorum tamen invisibiles rationes in se ipso creatas et sibi ipsi cognitas possidet.
[La troisième espèce de l’ignorance divine est celle par laquelle Dieu est dit ignorer ce qui n’apparaît pas encore manifestement par l’expérience dans les effets de l’action et de l’opération, bien qu’il possède en lui-même, en tant que telles, les raisons invisibles qu’il a lui-même créées et qui lui son connues.]
Si, pour saisir jusqu’à un certain point l’idée qui vient d’être émise, nous avons appelé à notre secours la ressemblance reconnue de la vie individuelle avec le rêve, il faut, d’autre part, noter cette différence. Dans le simple rêve, le rapport est unilatéral : un seul « moi » veut et sent véritablement, tandis que les autres ne sont que des fantômes. Dans le grand rêve de la vie, au contraire, il y a un rapport réciproque : non seulement l’un y figure dans le rêve de l’autre, tout comme cela est nécessaire, mais celui-ci aussi dans le rêve de celui-là; de sorte que, en vertu d’une véritable harmonia præstabilita [l’harmonie préétablie], chacun pourtant ne rêve que ce qui est en accord avec sa propre direction métaphysique, et tous les rêves de la vie sont si artificiellement entremêlés les uns dans les autres, que chacun sent ce qui lui est avantageux, et accomplit en même temps ce qui est nécessaire aux autres ; en vertu de quoi un grand événement universel qui se produit s’accommode à la destinée d’une multitude infinie de personnes, et à chaque destinée d’une façon individuelle. Tous les événements de la vie d’un être humain se trouveraient conséquemment répartis en deux sortes de rapports foncièrement différents : 1o en un rapport objectif causal du cours de la nature ; 2° en un rapport subjectif qui n’existe que par relation avec l’individu qui les éprouve, et qui est aussi subjectif que les propres rêves de celui-ci, rapport dans lequel cependant leur succession et leur contenu sont également nécessairement déterminés, mais à la façon dont se succèdent les scènes d’un drame, d’après le plan du poète. Que maintenant ces deux sortes de rapports subsistent ensemble et que la même circonstance s’adapte exactement à toutes deux, comme un anneau de deux chaînes tout à fait différentes, par suite de quoi la destinée de l’un ne manque jamais de s’accommoder à la destinée de l’autre et chacun est le héros de son propre drame en même temps que figurant du drame étranger, c’est là une chose qui, en vérité, dépasse notre conception, et que nous ne pouvons nous imaginer qu’à l’aide de la plus merveilleuse harmonia præsiabilita. Mais, d’autre part, n’y aurait-il pas de la pusillanimité à tenir pour impossible que l’existence de tous les êtres humains, dans sa pénétration réciproque, ait autant de concentus [accord] et d’harmonie que le compositeur sait en donner aux nombreuses voix en apparence déchaînées de sa symphonie?
Notre effroi devant cette pensée colossale s’atténuera aussi, si nous nous rappelons que le sujet du grand rêve de la vie en un certain sens n’est que la volonté de vivre, et que toute multiplicité des phénomènes est conditionnée par le temps et par l’espace. C’est un grand rêve que rêve un seul être; mais il le rêve de telle sorte, que tout le monde le rêve avec lui. En conséquence, tout se pénètre et chaque chose s’accommode avec les autres. Si maintenant on poursuit cette idée, si l’on admet cette double chaîne de tous les événements, en vertu de laquelle chaque être, d’un côté, est là pour lui-même, agit et suit nécessairement sa propre voie conformément à sa nature, et, d’un autre côté, est en outre destiné et approprié à comprendre un être étranger et à agir sur lui aussi bien que les images des rêves de celui-ci, on devra étendre cette idée à la nature entière, c’est-à-dire également aux animaux et aux êtres dépourvus de connaissance. Alors s’ouvre une fois de plus la possibilité des omina, præsagia et portenta. Ce qui, en effet, d’après le cours de la nature, arrive comme nécessaire, doit pourtant, d’autre part, être de nouveau regardé comme une simple image pour moi et comme des figures peuplant mon rêve vital, ne se produisant et n’existant que par rapport à moi, ou aussi comme un simple reflet et un simple écho de mes actions et de mes expériences ; en conséquence de quoi le côté naturel et la nécessité originellement démontrable d’un événement ne supprimeraient en aucune façon son caractère de mauvais augure, et réciproquement. Aussi est-ce une complète erreur de s’imaginer qu’on a fortifié ce caractère de mauvais augure, en démontrant clairement, d’un air avisé, que l’inévitabilité dudit événement provient de ses causes naturelles et nécessairement agissantes, et si c’est un événement de la nature, d’appeler même à son secours la physique. Nul homme raisonnable ne doute en effet de ces causes, et personne ne regarde un présage comme un miracle ; mais précisément parce que la chaîne infinie des causes et des effets, avec la sévère nécessité et l’imprévoyable prédestination qui lui sont propres, ont fixé irrémédiablement, en tel moment important, la production de cet événement, le caractère de mauvais augure s’attache à celui-ci. Aussi le mot de Shakespeare : There are more things in heaven and carth, than are dreamt of in your philosophy [Il y a plus de choses dans le ciel et sur la terre qu’il n’en est rêvé dans votre philosophie] (Hamlet, acte 1, scène V), est-il excellent à rappeler à ces gens malins, surtout quand ils s’occupent de physique. D’autre part, cependant, nous voyons la croyance aux présages ouvrir aussi la porte à l’astrologie. En effet, le moindre événement passant pour un présage, le vol d’un oiseau, la rencontre d’une personne, etc., est conditionné par une chaîne de causes aussi infiniment longue et aussi sévèrement nécessaire que la situation calculable des astres à un moment donné. Seulement, les constellations sont si hautes, que la moitié des habitants de la terre les voit en même temps ; tandis que le présage, au contraire, n’apparaît qu’à portée de l’individu qu’il concerne. Veut-on se représenter encore par une image la possibilité du présage? On peut comparer celui qui, en une circonstance importante de sa vie enveloppée dans les ténèbres de l’avenir, aperçoit un bon ou un mauvais présage qui l’incite ou le met en garde, à une corde qui, frappée, ne rend pas de son par elle-même, mais, par suite de sa commotion, percevrait le son d’une corde étrangère qui résonne avec elle.
La distinction établie par Kant entre la chose en soi et son phénomène, en ramenant, comme je l’ai fait, la première à la volonté et le second à la représentation, nous donne la possibilité d’envisager la compatibilité de trois oppositions, quoique imparfaitement et de loin.
Ces oppositions sont :
1° Celle entre la liberté de la volonté en elle-même et la nécessité générale de tous les actes de l’individu.
2° Celle entre le mécanisme et la technique de la nature, ou le nexus effectivus et le nexus finalis, ou l’explicabilité purement causale ou téléologique des produits de la nature. (Voir à ce sujet Kant, Critique du jugement, § 78, et mon œuvre principale).
3° Celle entre l’accidence manifeste de tous les événements de la vie individuelle et leur nécessité morale pour la formation de celle-ci, conformément à une finalité transcendante pour l’individu ; ou, en langage populaire, entre le cours de la nature et la Providence.
La clarté de notre conception quant à la compatibilité de chacune de ces trois oppositions, quoique incomplète pour chacune, est cependant suffisante pour la première comme pour la seconde, mais suffit moins pour la troisième. Quoi qu’il en soit, cette notion même incomplète de la compatibilité de chacune de ces oppositions projette de la lumière sur les deux autres, en leur servant de tableau et de comparaison.
Mais, finalement, quel est le domaine propre de toute cette direction mystérieuse de l’existence individuelle? C’est ce qu’on ne peut établir que d’une façon très générale. Si nous nous en tenons aux cas particuliers, il semble souvent qu’elle ne se propose que notre bien terrestre actuel. Pourtant celui-ci, insignifiant, imparfait, futile et transitoire, ne peut sérieusement constituer son but suprême ; nous avons donc à chercher son but dans notre existence éternelle, au delà de la vie individuelle. Et alors on peut dire d’une façon toute générale que cette direction donne une telle régularité à notre existence, que de l'ensemble de la connaissance qui nous vient par elle nait l’impression métaphysiquement la plus efficace sur la volante, noyau et essence en soi de l’être humain. Car quoique la volonté de vivre ne reçoive en somme sa réponse que dans le cours de l’existence, comme phénomène de son effort, chaque être humain est cependant cette volonté de vivre d’une façon absolument individuelle et particulière, en quelque sorte un acte individualisé de celle-là, dont la réponse suffisante ne peut être aussi, par conséquent, qu’une forme tout à fait déterminée du cours du monde, laquelle lui est donnée par les expériences qui lui sont particulières. Maintenant donc que les résultats de ma philosophie sérieuse (par opposition à la philosophie universitaire ou philosophie pour rire) ont démontré que l’abandon de la volonté de vivre est le but suprême de l’existence terrestre, nous devons admettre que chacun est conduit là peu à peu par la voie tout individuelle qui lui convient, conséquemment, en beaucoup de cas, par de longs détours. Comme, de plus, bonheur et jouissance travaillent en réalité contrairement à ce but, nous voyons, conformément à celui-ci, chaque existence humaine immanquablement entremêlée de malheur et de souffrance, dans une mesure très inégale, il est vrai, et rarement comble, si ce n’est dans les dénouements tragiques. Ici, alors, il semble que la volonté soit jusqu’à un certain point poussée violemment à l’abandon de la vie, et doive renaître à l’existence comme par le fait d’une opération césarienne.
C’est ainsi que cette direction invisible, qui ne se manifeste que sous une apparence douteuse, nous accompagne jusqu’à la mort, ce véritable résultat et but de la vie. A l’heure de celle-là, toutes les puissances mystérieuses, quoique ayant leurs racines en nous-mêmes, qui déterminent la destinée éternelle de l’être humain, se concentrent et entrent en action. Leur conflit ouvre la voie que celui-ci doit désormais parcourir, prépare sa palingénésie, avec tout le bien et le mal qu’elle renferme, et qui a été irrévocablement déterminé par lui. C’est là ce qui constitue le caractère hautement sérieux, grave, solennel et terrible de l’heure de la mort. Cette heure est une crise, au sens le plus fort du mot, un jugement dernier.
Notes :
1- Dans le Times du 2 décembre 1852, on trouve la déposition judiciaire que voici. A Newent, dans le comté de Glocester, le coroner, M. Lovegrove, fit une enquête au sujet du cadavre d'un nommé Marc Lane, trouvé dans l’eau. Le frère du mort dit qu’à la première nouvelle de la disparition de Marc, il s’était écrié : « Alors il est noyé! Car je l'ai rêvé cette nuit, et, plongeant dans l'eau, je m'efforçais de l'en retirer ». La nuit suivante il rêva de nouveau que son frère s’était noyé près de l’écluse d’Oxenhall, et qu’à côté de lui nageait une truite. Le lendemain matin il se rendit à Oxenhall en compagnie de son autre frère : il y vit une truite dans l’eau. Il fut aussitôt convaincu que son frère se trouvait là : le cadavre y était en effet. Ainsi une chose aussi fugitive que le glissement d’une truite est vue plusieurs heures à l’avance, à la seconde exacte. (Note de Schopenhauer)
2- Savant danois (1763-1830). Il voyagea à l’étranger, puis à son retour en Danemark, fut nommé directeur du collège Frédériksborg.
3- Voir, sur Jung Stilling, la note du volume des Parerga : Sur la religion, 2e édit., p. 90. (Le trad.)
4- Du grec mantis, qui signifie également prophète et prophétesse, et qui vient lui-même du mainomai, être agité de violents transports, et, par extension, être inspiré.
5- En nous rappelant exactement maintes scènes de notre passé, tout nous y apparaît comme aussi bien arrangé que dans un roman composé d’après un plan méthodique. (Note de Schopenhauer)
6- Ni nos actions ni le cours de notre vie ne sont notre œuvre : ce qui l’est, et ce que nul ne tient pour tel, c’est notre être et notre existence. Sur la base de ces derniers, en effet, comme des événements et des circonstances extérieures se produisant dans un sévère enchaînement causal, nos actions et le cours de notre vie se déroulent avec une absolue nécessité. En conséquence, dès la naissance de l’homme, le cours entier de sa vie est irrévocablement fixé jusque dans les détails : de sorte qu’une somnambule à la plus haute puissance pourrait le prédire exactement. Nous devrions, en considérant et en jugeant le cours de notre vie, nos actes et nos souffrances, avoir devant les yeux cette grande et sûre vérité. (Note de Schopenhauer)
7- Charles-Louis de Knebel, après avoir servi huit ans dans le régiment du prince royal de Prusse, se rendit à Weimar, où la duchesse Amélie lui confia l’éducation d’un de ses fils. Il mourut à Iéna, en 1834, à l’âge de quatre-vingt-dix ans. Il entretint avec Gœthe, la veuve de Schiller et d’autres personnages en vue, une correspondance importante qui lui assigne une place dans la littérature de son pays. Il fut aussi un poète d'un certain mérite et a laissé des traductions estimées de Lucrèce et de Properce. — Voir P. Besson, Un ami de la France à la cour de Weimar : Charles-Louis de Knebel (1897).
8- Célèbre physiologiste anglais (1790-1857), auteur de la découverte de l'action réflexe, qui le conduisit sur la voie du traitement rationnel des convulsions et de l’épilepsie. Il a publié en français, langue qu’il maniait très bien, un Aperçu du système spinal.
9- Physicien français, qui fut directeur du Conservatoire des arts et métiers, professeur à la Sorbonne, membre de l’Institut, et député. Attaché à la famille d’Orléans, dont il avait eu plusieurs membres comme élèves, il refusa, en 1850, le serment à Louis Bonaparte triomphant, et dut abandonner sa chaire. Il mourut en 1868, à soixante-dix-sept ans.
10- On connaît le sujet de cette ballade de Schiller. Fridolin, page de la comtesse de Saverne, servait avec le plus entier dévouement sa dame, qui ne tarissait pas en éloges sur son compte. Le chasseur Robert, âme envieuse et noire, persuade au comte que le jeune homme aime sa femme. Le comte alors ordonne aux ouvriers de ses mines de jeter dans la fournaise le premier qui se présentera, en posant une certaine question, puis il commande à Fridolin de se rendre aux mines. Le page se met en route, mais, rencontrant une église, y entre et sert la messe. Puis il va s'acquitter de son message, et on lui répond que l’ordre de son maître a été exécuté. Or. le méchant Robert, dans sa hâte d‘être fixé sur le sort de son rival, était arrivé à la forge avant ce dernier, et c’est lui que les ouvriers, croyant obéir à l’ordre de leur maître, avaient précipité dans la fournaise. (Le trad.)
11- C’est là, avons-nous déjà dit, une théorie chère à notre philosophe, et qu’il développe longuement dans le Monde comme volonté et comme représentation (Supplément au livre III, chap. XLIII).
12- La critique s'accorde aujourd'hui pour retirer cet ouvrage à Jamblique, et l'attribuer à l'un de ses disciples du même nom. Le véritable Jamblique lui-même est d'ailleurs moins un philosophe qu'un mystique dont la crédulité atteint des limites qui l’ont fait soupçonner d'imposture. C'était, a-t-on dit, une sorte d’Arabe de Syrie qui s'imagina être devenu un philosophe grec, mais qui ne fut jamais qu'un derviche bédouin. (Le trad.)